À l'occasion de l'exposition Ma génération à la Grande Vitrine lors de l'Été indien à Arles, nous avons rencontré Gabriel Dia, auteur d'une entrainante série auto-photographique dans laquelle il nous emmène à danser le Sabar.
La photographie comme médium ?
La photographie est un médium fort car cela reste ; une parole s’envole mais pas une photographie qui lorsqu’elle est tirée vit de manière éternelle. La série Sabar va rester. Toutes les personnes qui vont regarder ces photographies dans cinq ou dans dix ans vont s’interroger sur ce qu’est le Sabar. Elles vont aller à la recherche de réponses sur une danse qui était normalement réservée aux femmes. Mais je suis sûr que dans quelques années elle sera pratiquée par tout le monde.
La photographie est un médium plus adapté que l’écriture ? Vous avez écrit un roman il y a quelques années.
J’ai découvert la photo par hasard, il y a quatre ans. À mon anniversaire, on m’a offert un appareil photo et j’ai commencé à photographier. Très vite, je me suis rendu compte que je ne pouvais plus m’en passer. J’arrivais à dire plus de choses en faisant des images qu’en écrivant. C’est devenu le médium que j’utilise maintenant.
J’ai l’impression que j’arrive à être beaucoup plus juste dans mon langage. C’est plus juste, plus proche de ce que je pense avec des images. Avec les mots il y a toujours une ambiguïté. Ce n’est pas matériel, ce n’est pas clair. Avec les images j’arrive à me positionner et à dire exactement sur ce que j’ai envie de dire.
Dans la série Sabar il y a un exorcisme, un combat…
Dans cette série que j’ai réalisée sur trois ans il y a une forme de catharsis car il y a cette question de l’homosexualité qui depuis mon arrivée en France m’a beaucoup troublé. Je voulais soulever cette question et en même temps ne pas me montrer. Pour cela je suis à la recherche d’une esthétique où à la fois c’est être moi mais sans être moi en même temps. C’est ce combat que j’essaye de livrer depuis quelques années.
Il y a une certaine mélancolie dans ces portraits
La mélancolie arrive avec les natures-mortes qui sont plus douces. C’est ainsi que je les vois et cela me permet de soulever cette question de ce combat sans impliquer les gens dans une confrontation plus forte.
Pourquoi la surimpression de négatifs ?
Je travaille en général en couleur. C’est la seule série réalisé en noir-et-blanc car le sujet était tellement important pour moi. Comme il est tellement fort que j’avais besoin d’une esthétique qui sorte de ce que je faisais d’habitude, très colorée, très poétique. Avec Sabar, on est dans un questionnement intérieur qui reste assez douloureux. Car je parle de souvenirs d’enfance que je n’ai pas oubliés presque trente-trois ans plus tard. C’est donc quelque chose qui m'a marqué. J’avais envie d’une esthétique plus forte avec le choix du noir-et-blanc. L’usage du négatif, vient du désir de rester caché. Cette utilisation du négatif noir-et-blanc permet de rester au second plan . Même si c’est moi, on ne le voit pas forcément. Le noir et blanc donne à la série un aspect plus dur dans les contrastes mais aussi, je pense que cela permet de rester intemporel. C’est un sujet qui perdure depuis longtemps. Il y avait une corrélation entre le choix du noir et blanc et le sujet.
Avec ce coté sombre du noir-et-blanc cela devient une catharsis…
Je n’avais jamais dévoilé mon homosexualité, même à mes amis qui peut-être le savaient sans jamais poser de question. C’est quand j’ai proposé cette série en exposition –forcément avec les textes– que la question est apparue. Avec mes frères et mes sœurs on en parle. Cela m’a permis de faire mon coming-out même si je n’aime pas trop cela. C'est comme s’il y avait un besoin… C’est un fait et je n’ai pas besoin d’en faire un événement ! Mais pourtant, c'est vrai que cela m’a permis de soulever cette question…
Vous arrivez à gommer ce traumatisme en interprétant la danse.
C’est l’histoire d’un gamin de cinq ans qui veut danser. Il y a quelque chose d’assez frais et rigolo. Mais en même temps, je pense que ce n’est pas si drôle du point de vue de mes parents. C’est difficile de se dire qu’à cet âge là que l’on peut être confronté à une forme de sectarisme, rien que par rapport à une danse et par rapport à sa sexualité ou autre chose… Je trouve cela hyper dur.
Grâce à la photographie peut-on s'en remettre ?
Je ne sais si l’on peut jamais s’en vraiment remettre. Ce sont quand même des situations qui nous accompagnent tout au long de notre vie. Et après il faut le prendre avec un regard nouveau. C’est mon cas et j’espère pouvoir aider d'autres personnes qui sont dans une même situation à le voir d’une manière différente.
Maintenant que cette catharsis a eu lieu, vers quoi vous tournez-vous ?
Cela reste mon principal combat. Vous avez ce sujet de l’homosexualité dans les pays musulmans pour lequel il y a encore beaucoup à dire ! Une vie ne permettrait pas de soulever toutes les questions par rapport à l’homosexualité.
C’est compliqué qu’en 2021 l’on soit encore condamné dans un pays parce que l’on est homosexuel.
Vis-à-vis du Sénégal êtes-vous personne non grata ?
Non, car ce n’est pas une question que l’on soulève. En réalité, les gens le savent… mais on n'en parle pas. Et je trouve cela un peu bizarre car justement, parlons-en de cette question, donnez au moins votre point de vue ! Quand les gens discutent, on peut avancer mais si personne ne veut en parler, nous restons dans un statut quo. Et c'est assez bizarre que sur cette question de l'homosexualité au Sénégal on n'en parle pas. Il n'y a pas de débat.
J’ai pris conscience de ma sexualité très tard à l’âge de vingt ans. Au Sénégal, c’était interdit, mal vu. C’est un crime pénal. On peut finir en prison parce que l’on a regardé de façon plus intime un autre garçon.
Je n'ai aucune fierté vis-à-vis de mon action pour m’affirmer. Je ne dirais pas à un hétéro qu’il est fier. C’est pareil. Il n’y a aucune différence. Il n’y a pas en faire une chose sensationnelle. Il reste de nombreux combats à mener. S’il y a un jour une loi qui passe au Sénégal pour bannir la condamnation de l’homosexualité, à ce moment là, je serais fier. Mais en attendant, je pense qu’il y a de nombreuses choses à faire.
C’est un rêve d’exposer au Sénégal ?
C’est quelque chose qui va se faire puisque je vais exposer en mai-juin 2022 à DAK'ART, la biennale de Dakar. Ce qui est drôle, c’est que mon discours sera allégé. On ne va pas pas présenter le même texte à Dakar que celui que je présente à Paris. On va essayer de le tourner différemment. Ce sera intéressant de voir comment soulever la question tout en préservant préserver cette pudeur liée au pays.
Comme décrire ta génération d’artiste lié à l’Afrique ?
Je suis d'une génération qui essaye de trouver son chemin par soi-même. Nous sommes beaucoup moins influencé par l'extérieur. Je trouve ça hyper intéressant et très fort à notre époque de pouvoir être insensible à ce que l’on vécu et de trouver nous-même notre vérité. C’est cela qui décrit notre génération : elle n’est plus influencée par le regard extérieur, le regard social et familial.
Ma photographie s’inscrit là. En tant que Sénégalais, j'ai une légitimité à parler de l'histoire de Sabar car je l’ai vécu. Après avoir vécu exactement cette histoire là, c’est beaucoup plus simple pour moi que quelqu'un qui vient de l'extérieur. Mais il ne faut pas fermer les cases et limiter la manière de faire les choses. Mais oui clairement il y a un besoin ; il y a même une obligation en tant que jeune Africain de présenter nos sujets.
Quel était l'état d'esprit en réalisant Sabar ?
Lorsque j’ai pris ces images j’étais dans une joie extrême. Ce jour là, j’étais allé faire du sport le matin. Et en revenant j’étais hyper en forme, je débordais d’énergie. J’ai mis Sabar et commencé à danser. Et, j’ai eu envie d’immortaliser ce moment là. Ce n’est pas sur le coup. J’ai pris les images, je les ai laissées reposer. Et ce n’est vraiment que quelques mois plus tard que cela m’est revenu. J’ai compris ce que je voulais évoquer. Après j’ai encore pris un an parce que je n’étais pas encore près à parler de cette histoire. C’est quelque chose qui est assez douloureuse pour moi. Ce n’est que deux ans plus tard que j’ai pu présenter la série Sabar. Cela s’est fait petit-à-petit.
C’est un sujet historique…
Beaucoup de gens sont stupéfait qu’une danse puisse être interdite aux hommes. C’est un moment de réunion, un moment de mélange. Ce n’est pas que cette danse, que cette série qui va faire changer les choses. Avec Sabar et d’autres personnes, une symbiose va s’établir pour soulever la question. C’est une danse ethnique qui est pratiquée par les Wolof au Sénégal.; c’est une danse axée sur la féminité. C’est une danse qui procure beaucoup de joie. Elle a –parait-il– des vertus sexuelles. Cela va peut-être intéresser certaines personnes !
Quel accueil au Sénégal ?
Plastiquement cette série va plaire ici comme au Sénégal. J’ai voulu faire un travail qui allait plaire visuellement, plastiquement pour attirer les gens pour qu’il puissent comprendre l’histoire. J’ai déjà eu des retour sans nécessairement soûler la question de l’homosexualité. La série plait beaucoup. Ce qui va falloir faire au Sénégal, c’est introduire le sujet sans être agressif parce que cela ne marche pas dans ces pays. Il faut trouver un moyen de faire accepter Sabar tout en gardant un dialogue avec les autres.

Un message ?
Je vous invite à faire des folies de votre corps avec la danse Sabar qui est très sensuelle et joyeuse.
Rendez-vous le 24 septembre à la Grande Vitrine à Arles avec Gabriel Dia pour danser le Sabar.